Entraîneur-joueur pendant deux ans, puis président lors de la saison 1989/1990, Jean-Marc Guillou a connu le F.C. Mulhouse sous toutes ses coutures. En dehors du microcosme mulhousien, celui qui a reçu le trophée du joueur du siècle en 2009 par le SCO d’Angers, son club formateur, est surtout connu pour avoir créé plusieurs écoles de football auxquelles il a donné son nom. En effet, l’ancien milieu offensif est l’instigateur de projets de développement par le football en Cote d’Ivoire bien sûr, mais aussi au Vietnam, en Thaïlande, à Madagascar, en Algérie, au Maroc, au Mali et au Ghana. Ce qui fait de lui un spécialiste du football africain, mais pas que. Sa courte expérience au Paris F.C., ses différents projets, ses relations avec la Côte d’Ivoire ou encore son passage en Alsace, « JMG » n’élude aucun sujet. Et certains en prennent pour leur grade …
« Notre méthode de formation a toujours réussi »
FCMFANS : Que devenez-vous aujourd’hui ?
JMG: Bien qu’à la retraite, je m’occupe de la formation au football de haut niveau.
Vous avez été nommé directeur sportif du Paris F.C. en 2012 avec un projet qui nourrissait de grandes ambitions : vous souhaitiez intégrer la L1 dans les 6 ans et ainsi développer un deuxième grand club à Paris. Pour se faire, il était question d’intégrer des joueurs venant des académies Jean-Marc Guillou, et même d’en créer une en région parisienne. Peu de temps après, votre neveu Olivier a été démis de ses fonctions d’entraîneur avant que vous ne soyez remplacé un an plus tard par Jacques Santini. Le projet est-il tombé définitivement à l’eau ? Qu’est ce qui n’a pas marché ?
Oui, cela aurait été un beau projet si nous avions pu le mener plus longtemps. En décidant de démettre Olivier de ses fonctions le président du club a cassé ce projet et l’accord qui nous liait.
Je suis resté actionnaire du club. Je ne suis plus du tout concerné par l’aspect sportif qui a pris une philosophie aux antipodes de la mienne. A défaut d’idées, l’avenir de ce club passe par l’arrivée de gros moyens.
Ce qui n’a pas marché c’est que, comme souvent en football, les gens changent de politique à la première difficulté venue. Quand on change de philosophie, ce sont les deux premières années qui sont les plus difficiles. La constance n’était pas une qualité des dirigeants du Paris FC. Ce n’est pas étonnant, car comment avoir de la constance sans compétence ?
Quand on pense à Jean-Marc Guillou, on pense évidemment aux académies de football. Si celle d’Abidjan est bien connue pour avoir vu éclore des footballeurs connus mondialement (on pense aux frères Yaya et Kolo Touré, Gervinho … pour ne citer qu’eux), on connait moins bien les 7 autres. Pouvez-vous nous en dire plus sur le fonctionnement de ces académies et les moyens utilisés pour les aider à devenir professionnels ?
Toutes proportions gardées avec la culture sportive des différents pays où nous travaillons et où nous avons travaillé, notre méthode de formation a toujours réussi.
Difficile de vous parler du fonctionnement et de vous convaincre du bien fondé de notre travail. Ce qui est beaucoup plus parlant, ce sont les résultats obtenus par cette méthode de formation dans les académies moins connues car plus récentes.
– A Madagascar, où nous avons fonctionné pendant 11 ans, nous avons créé un club au bout de la cinquième année et nous sommes arrivés au plus haut niveau du pays deux ans après.
Lors des dernières années dans ce pays, avec une équipe de moins de 20 ans, nous nous sommes maintenus chaque saison dans les 4 finalistes pour le titre. Et nous l’avons remporté une fois. Nous avons donné à ce pays une vingtaine d’internationaux.
– En Thailande où nous avons fonctionné pendant 7 ans et où nous avons pris seulement deux promotions de joueurs. Après une première promotion moyenne dû à un encadrement mal choisi, la seconde promotion a aujourd’hui 5 à 6 représentants dans l’équipe Olympique. Pratiquement tous les joueurs ont trouvé des clubs de haut niveau et vivent de leur métier.
– Nous sommes par ailleurs en Belgique, en Egypte, au Ghana, au Vietnam en Algérie et au Mali. Dans toutes ces académies nous arrivons à la septième année de travail.
– Au Vietnam, la première promotion et quelques joueurs de la seconde constituent à 90 %%%% l’équipe des U20 du Vietnam. Nous avons prolongé notre contrat jusqu’en 2021.
– En Algérie notre première promotion, avec là aussi quelques joueurs de la seconde, s’est déjà frottée avec des équipes européennes du même âge, voire plus âgées. Ceci avec beaucoup de bonheur malgré un mariage difficile avec notre partenaire. Elle a battu l’équipe des U20 d’Algérie qui se préparait pour la CAN organisée dans le pays l’année dernière. Elle a même fait subir à l’équipe du centre de formation du Barça ce que cette équipe fait subir à tous ses adversaires. Bref, c’est le début de la promotion des meilleurs d’entre-eux vers les clubs européens alors que les plus vieux d’entre-eux arrivent à peine à 20 ans.
– En Egypte, même chose. Dernièrement sur trois matches organisés contre les U20 d’Egypte, trois fois notre académie avec des joueurs de 17 à 19 ans les a battu nettement.
– Au Ghana, même chose avec un seul match disputé contre l’équipe Nationale des U20 (qui ont tous 24 ans) où nous avons perdu par 3-2 par la volonté de l’arbitre qui nous a fait joué 15 minutes de plus et a taxé notre équipe d’un penalty pour offrir la victoire à l’équipe la moins bonne. Inutile de vous dire que cette équipe nationale ne veut plus rejouer contre nous.
– En Belgique, nous n’avons jamais joué contre l’équipe Nationale qui n’a jamais voulu le faire. Mais, plusieurs joueurs de 18 ans sont entrés dans l’effectif du club partenaire de Liers. Ajoutés à l’arrivée des académiciens formés au Ghana et en Egypte, ce club, dans les 3 ans, deviendra certainement le meilleur club belge.
– Enfin, au Mali, l’académie que nous finançons totalement, nous avons donné pour la saison en cours 10 joueurs de 18 – 20 ans à notre club partenaire : le Réal de Bamako. 10 de nos joueurs sont devenus internationaux U20. 3 d’entre eux sont déjà internationaux A du MALI. Ce n’est que le début. Je pense que, d’ici 3 ans, nos joueurs représenteront 80 %%%% des titulaires de cette équipe A du mali. Il se passera ce qui s’est passé en Côte d’Ivoire pour les trois promotions formées là-bas. Le Mali deviendra dans 3 ans l’une des meilleures formations nationales d’Afrique, bien qu’elle aura à lutter contre certainement de bonnes équipes nationales d’Algérie, d’Egypte et du Ghana. Nous sommes sur le point de signer un accord de transfert pour deux jeunes joueurs issus de l’académie du Mali. Sept ans après l’ouverture de cette académie, ce seront les deux premiers transferts.
Alors oui, avec un tout petit peu de patience, le Paris FC serait sans nul doute parvenu, avec notre apport de joueurs aussi talentueux, comme prévu à monter en première division dans les six ans.
Pourquoi des entraînements pieds nus ?
Ecoutez, toutes les marques de fabricants de chaussures de football se battent pour sortir les chaussures les plus légères… Il me semble qu’ils ne feront jamais mieux que nous qui jouons pieds nus.
Cette façon de faire n’a, en formation, que des avantages. Je vais vous les énumérer :
– une économie de dépense d’énergie pour les joueurs (et dans notre méthode nous faisons parfois 4 heures d’entraînement par jour)
– une meilleure sensation de toucher de balle
– une habitude et un développement de la vitesse dans le geste technique
– pratiquement aucune blessure lors des entraînements ou des matches
– enfin une économie en achat de paire de chaussure.
Donc la vraie question est : Pourquoi chez les jeunes de 10 à 14 ans on joue encore avec des chaussures et des protège tibias ?
« Quand on représente 80%% de l’équipe, si l’on fait corps, on a le pouvoir de changer les choses »
Vous ressentez quoi quand vous voyez que parmi les 23 joueurs ivoiriens sélectionnés pour le mondial, 8 sont passés entre vos crampons et ceux de vos éducateurs ?
De la fierté mais bien souvent des regrets et de la frustration à voir le jeu que l’équipe a pratiqué et pratique encore.
Avec des joueurs d’à peine 19 ans pour les plus vieux, il en restait 2 dans l’équipe du dernier mondial. Nous avons gagné la supercoupe d’Afrique en 1999 contre une équipe qui possédait 8 internationaux tunisiens ayant disputé le mondial 1998. Nous l’avons fait en jouant un football qui, maintenant, décourage les spectateurs ivoiriens à aller voir des matches foireux entre équipes du pays.
Les dirigeants de la Fédération Ivoirienne ont attendu 2006, donc 7 ans, pour promouvoir ces joueurs au niveau international et ils n’ont jamais vraiment sur les encadrer de manière professionnelle, occupés qu’ils étaient à promouvoir « leurs » joueurs et tirer parti des entrées financières.
En 2010, lors de la Coupe du Monde en Afrique du Sud, je leur avais proposé de prendre en main cette équipe nationale. C’était à mon sens une occasion inespérée et unique de confier la direction d’une équipe nationale à la personne qui avait formé la grande majorité de ses éléments. Ces dirigeants, par bêtise et par rancune, (car, à raison, je les ai toujours critiqué) ont ignoré cette proposition.
Ils n’auront probablement pas de sitôt une telle génération n’ayant en définitive gagné aucun titre. A cause des dirigeants sûrement, mais aussi à cause des joueurs qui n’ont pas eu le courage de prendre en main leur destin. C’est cela mon plus grand regret. Je n’ai pas su leur communiquer le courage de s’opposer à de mauvais dirigeants. C’est vrai que quelques uns d’entre-eux ont payé par leur écart le prix de leur franchise, mais quand on représente 80%% des titulaires de l’équipe, si l’on fait corps, on a le pouvoir de changer les choses.
L’important est que cette expérience , ajoutée à bien d’autres, ne m’ont jamais découragé, mais probablement rendu plus fort.
Pour la troisième fois consécutive, les Eléphants n’ont pas réussi à se qualifier pour les huitièmes de finale, encaissant un but tardivement face à la Grèce. Comment expliquez-vous l’échec de Sabri Lamouchi et ses joueurs dans cette compétition, alors que cette année le groupe semblait à leur portée ?
Je ne connais pas Sabri Lamouchi en tant qu’entraîneur. On pourrait penser que dans cette fonction, c’est un novice. Ce que je vois, c’est qu’il n’a certes pas fait mieux que les autres, mais il n’a pas fait plus mal. C’était sans doute la dernière occasion pour cette génération de briller au mondial. Ceux qui viennent, verront l’avènement du Nigeria, du Ghana, de l’Egypte, de l’Algérie et du Mali parmi les représentants africains. La Côte d’Ivoire disparaîtra pour les mêmes raisons qu’elle est apparue. Avant l’Académie pas de coupe du monde, pendant l’Académie 3 coupes du monde, après l’Académie plus de coupe du monde…
Comment a été perçue cette non-qualification en Côte d’Ivoire ?
Ils sont maintenant habitués. Personne n’y croyait vraiment. Vous savez, la qualification pour le Mondial contre le Sénégal a été plutôt chanceuse.
Cette année, l’Algérie et le Nigéria se sont arrêtées en huitième. En 2010, le Ghana a atteint les quarts de finale, comme le Sénégal en 2002. Qu’est ce qui manque aujourd’hui pour qu’une équipe africaine atteigne enfin le dernier carré d’après vous ?
Je pense que l’Afrique ne manque pas de joueurs de talent. Mais plus qu’ailleurs, bien que cela soit la règle un peu partout, il manque de grands dirigeants. Car tout part de là.
Des bons dirigeants choisissent une bonne politique. Et s’il y a des hommes compétents, il y a une bonne politique. Et des hommes compétents révèlent des joueurs de talent, puis des joueurs de talent gagnent des matchs et des grands tournois…
La finale de l’édition 2014 opposera donc l’Allemagne et l’Argentine. C’est logique ? Vous avez un favori ?
Beaucoup d’équipes pouvaient prétendre à arriver à la finale, le Chili, la France, l’Italie, l’Angleterre, le Mexique, la Colombie, la Hollande, la Belgique voire les USA auraient pu être des finalistes. En fait, j’ai vu lors de la deuxième mi-temps contre la Colombie que l’équipe la plus mal placée pour remporter ce titre était le Brésil.
Je n’ai de mémoire jamais vu une équipe du Brésil aussi tendue, fébrile, en panique et en détresse que celle-là. La raclée prise contre les allemands ne m’a pas surpris.
Je ne peux pas imaginer que le meilleur attaquant du brésil soit Fred ! Je n’ai pas de favori, bien que l’Allemagne me paraisse mieux armée collectivement. Messi constitue à lui seul un danger permanent, surtout quand il ne marche pas…
Un joueur vous a particulièrement marqué durant ce mondial ?
Je reste toujours content de voir Messi jouer, même si son manque d’endurance le fait se montrer à l’image d’un clignotant qui ne s’allume plus qu’une fois sur deux. La plupart des joueurs des grands clubs arrivent exténués par des saisons très longues et mal organisées. Platini s’est toujours plaint du nombre de matches croissant dans les championnats, mais depuis qu’il est à l’UEFA, il a augmenté ce nombre de matches dans les compétitions européennes.
Manifestement, il convient de réorganiser les championnats nationaux et internationaux vers, non pas un nombre d’équipes ou de clubs en diminution, mais vers des compétitions plus courtes avec un nombre de matches moins grands. Ceci surtout pour les meilleurs joueurs qui, au final, jouent le plus grand nombre de matches.
Vous avez participé à une coupe du monde sous le maillot français, en Argentine en 1978. Quels sont vos meilleurs souvenirs ?
Le voyage en concorde…
« Quand on a le pouvoir, on a en même temps des responsabilités »
Vous avez été entraîneur-joueur du F.C. Mulhouse entre 1981 et 1983, puis président en 1989-1990. Que retenez-vous de vos années mulhousiennes ?
De très bons souvenirs en tant qu’entraîneur-joueur. Mon passage en tant que président est plus mitigé. J’ai pu avoir de visu un aperçu du manque de compétence des dirigeants en général. Ils avaient des excuses, ils taient tous bénévoles. L’évolution du football du haut niveau a transformé la plupart de ces bénévoles en professionnels, mais au final ce n’est pas le statut de bénévole ou de professionnel qui fait la différence. Ce qui fait la différence dans une entreprise, c’est la compétence ajoutée à la sagesse. Une qualité et une vertu difficiles à réunir semble-t-il dans le monde en général.
Y a-t-il une anecdote particulière qui vous vient à l’esprit concernant cette époque ?
Oui, il y a en beaucoup. Quand j’étais entraîneur-joueur, avec Mulhouse en seconde division, il y a avait un joueur nommé Ben Said. Il avait beaucoup de mal avec les horaires. Très souvent en retard il payait es amendes au moins 2 à 3 fois par semaine.
Un beau jour, j’en ai eu marre de soigner la mal par le mal. J’ai donc décidé que, plutôt que de lui faire payer une amende lors de son prochain retard, je lui offrirai une montre. En effet, la cause de son retard était probablement plus due à un manque d’information sur l’heure qu’à une réelle volonté d’arriver en retard. A partir de ce jour, il est souvent arrivé en avance, si bien que c’était nous qui étions tous en retard. Ce qui a dû lui faire toucher du doigt combien c’était ennuyeux d’attendre …
Pouvez-vous nous dire un mot pour les membres du forum et les fans mulhousiens en général qui ne vous ont pas oublié ?
Difficile de s’adresser à un groupe de supporter sans donner le sentiment de faire de la politique politicienne. Dans un monde gouverné, semble-t-il, par un principe démocratique qui accorde le pouvoir au plus grand nombre, les supporters par définition ont le pouvoir.
Quand on a le pouvoir, on a en même temps des responsabilités.
Donc, je dis aux supporters mulhousiens ce que je pourrais dire à tous les supporters :
– Aimez d’abord le football avant votre équipe
– Défendez la justice dans le football
Mais sachez que les grandes découvertes et les grandes idées sont ou naissent dans le cerveau d’un seul individu. Elles ne viennent jamais simultanément dans la tête d’un grand nombre de personnes.
Votre responsabilité est donc énorme au regard des deux premiers conseils d’amour et de justice, mais votre pouvoir est limité pour décider de l’évolution de votre club. C’est pourquoi vous devez chercher à confier les rênes de votre club à des gens que vous estimez compétents et leur/vous donner le temps pour les juger.
Merci à Jean-Marc Guillou de nous avoir répondu et souhaitons-lui une bonne réussite avec ses académies !
Interview réalisée pour FCMulhousefans.com